• Tonneaux de rhum
  • Le Père Labat

Victoire du Rhum 1674 racontée par le Père Labat.

En 1674, l'amiral hollandais Ruyter tente de s'emparer de Fort-de-France. Lancés à l'assaut des fortifications ses soldats sont vite confrontés à un cruel dilemme ...

L'épisode comique de la Victoire du Rhum racontée par le Père Jean-Baptiste Labat dans Voyages aux Iles 1693-1705.

Quand l'amiral de Hollande Ruyter vint attaquer la Martinique en 1674, cette motte de terre, qu'on appelait déjà le Fort-Royal, n'avait pour toute fortification qu'un double rang de palissades qui la fermait par le bas, avec une autre rang sur la hauteur, et deux batteries à barbette, une sur la pointe pour défendre l'entrée du port, qu'on appelle le Carénage, et l'autre du côté de la rade. Le terrain où est à présent la ville était un marais. Il y avait seulement quelques mauvaises cases ou maisons de roseaux sur le bord de la mer, qui servaient de magasins à marchandises quand les vaisseaux étaient dans le carénage pendant la saison des ouragans.

Ces magasins étaient remplis de vin et d'eau de vie quand Ruyter fit descendre ses troupes ; les soldats, ne trouvant aucune résistance, se mirent à les piller et, découvrant les liqueurs, ils en burent de telle manière qu'ils n'étaient plus en état de se tenir sur leurs pieds lorsque le commandant les voulut mener à l'assaut.

Par bonheur il y avait dans le Carénage une flûte de Saint-Malo de vingt-deux pièces de canon et un vaisseau de quarante-quatre, qui était commandé par M. le marquis d'Amblimont. Ces deux navires firent un si admirable feu de leur canon chargé à cartouche sur ces ivrognes, qui tombaient à chaque pas qu'ils voulaient faire pour aller à l'assaut, qu'ils en tuèrent plus de neuf cents.

Ruyter, qui vint à terre sur le soir après avoir passé toute la journée à canonner le rocher, fut étonné de voir plus de quinze cents de ses gens morts ou blessés ; il résolut de quitter cette funeste entreprise et de faire embarquer le reste de son monde pendant la nuit.

Dans ce même temps, M. de Sainte-Marthe, qui était gouverneur de l'île, assembla son conseil et résolut d'abandonner le fort après avoir encloué le canon, attendu que celui des ennemis ayant brisé la plupart des palissades et abattu une grande partie des retranchements, il était à craindre que les habitants ne fussent forcés, si les ennemis venaient à l'assaut, quand ils auraient cuvé leur vin. Cette résolution ne put être exécutée avec tant de silence que les Hollandais n'entendissent le bruit qui se faisait dans le fort. Ils prirent ce bruit pour le prélude d'une sortie qui leur aurait été funeste dans l'état où ils étaient, une partie s'étant déjà rembarquée, de sorte que l'épouvante se mit parmi eux ; ils se pressèrent de s'embarquer et le firent avec tant de précipitation et de désordre qu'ils abandonnèrent leurs blessés, tous leurs attirails qu'ils avaient mis à terre, et une partie de leurs armes, pendant que les Français, épouvantés aussi par le bruit qu'ils entendaient, qu'ils prenaient pour la marche des ennemis qui venaient à l'assaut, se pressaient d'une manière extraordinaire pour s'embarquer dans leurs canots.

De sorte que cette terreur panique fit fuir les assiégés et les assiégeants chacun de son côté et laissa le fort en la possession d'un Suisse qui, s'étant enivré le soir, dormait tranquillement et n'entendit rien de tout ce tintamarre ; il fut fort étonné quand à son réveil, sur les six heures du matin, il se vit possesseur de la forteresse, sans amis et sans ennemis.

Carte Fort-de-France

Fort-de-France