• Groupe d'indiens devant leur case

    Groupe d'indiens devant leur case

L'abolition de l'esclavage et ses suites

Une histoire de bras! Le bras armé de l'aventurier et du soldat pour conquérir la terre. Le bras de l'engagé 'volontaire' européen pour défricher et mettre en culture. Le bras de l'esclave africain pour travailler la canne. Le bras de l'engagé 'volontaire' indien pour concurrencer le bras de l'esclave affranchi désormais trop cher.

Ou pourquoi les planteurs martiniquais font appel à l'immigration indienne

Après avoir usé au travail, des milliers d'engagés européens, puis des dizaines de milliers d'esclaves africains, dans les champs de canne, les planteurs martiniquais sont bien embêtés par la soudaine interruption de la traite des noirs (1815), et par l'abolition de l'esclavage (1848).

Dès l'interdiction de la traite, ils ont toutes les peines du monde à renouveler leurs stocks de main d'œuvre. Oh ! Bien sûr, ils peuvent encore compter sur quelques convois clandestins pour les approvisionner. Mais ces expéditions sont rendues tellement périlleuses par la surveillance des flottes anglaises et françaises, que le prix des esclaves débarquant sur l'île atteint des sommets.

Déjà fragilisé par cette augmentation soudaine du prix de la main d'œuvre qui fait fondre leurs bénéfices en renchérissant les coûts de production du sucre, les planteurs sont assommés par la décision prise en avril 1848 par la République. Celle-ci, non contente de décréter l'abolition immédiate de l'esclavage, accorde aux nouveaux affranchis, en plus de la liberté, le statut de citoyen, et... le droit de vote.

Les grands champs de canne sont soudain désertés. Les rares affranchis qui continuent à y travailler, le font désormais contre un salaire d'homme libre, ce qui n'est pas sans conséquence sur l'économie de l'île.

Contrairement à ce que l'on aurait pu penser, et à ce que tous les colons annonçaient (voir encadré), le décret d'abolition de l'esclavage n'a entraîné que peu de débordements en Martinique. Libres, les esclaves ne se sont pas empressés d'égorger leurs anciens propriétaires, preuve que l'entente entre eux n'était pas si mauvaise qu'en Guadeloupe, où les choses se passèrent tout autrement. Les planteurs martiniquais réussirent même, le décret d'abolition survenant en pleine période de récolte, à convaincre leurs anciens esclaves de rester quelques jours terminer celle-ci.

Mais après, les choses se gâtent rapidement. Libres, les affranchis abandonnent les plantations de canne pour cultiver leur propre lopin de terre, et les propriétaires qui ont besoin de bras, ont du mal à les persuader de revenir travailler. Quant ils reviennent, ils exigent évidemment un salaire, ce qui renchérit d'autant le coût du sucre produit sur l'île, et grève les bénéfices.

Cela ne pouvait tomber au plus mauvais moment. Après 60 ans de troubles divers (Révolution, guerre avec l'Angleterre et blocus économique), la Martinique, comme les autres colonies de plantation, déjà ruinée, déjà à genoux, est sur le point de succomber à la concurrence d'un ennemi longtemps dédaigné : la Betterave.

Vers le début du siècle, des savants mettent au point un procédé de production du sucre à partir de la betterave, puis ne cessent de le perfectionner, encouragés en cela par le blocus économique qui empêche la majeure partie du sucre des colonies d'atteindre la métropole et en accroît considérablement le prix.

Face à cette concurrence imprévue, les planteurs de Martinique restent d'abord sereins, pensant que ce produit de substitution ne durera que le temps d'un blocus. Mauvais calculs. D'abord artisanale, la production du sucre de betterave se développe à une vitesse fulgurante en métropole, pour atteindre bientôt le rang d'industrie. Des milliers d'emplois se créent en quelques années, et en 1848, la production atteint en volume, celle des colonies.

Pire, la betterave attire les capitaux au détriment de la canne à sucre. Les investisseurs comprennent vite les avantages du sucre produit en métropole sur celui provenant des colonies. Investir dans des champs et dans des raffineries directement dans l'hexagone leur semble infiniment moins risqué que sur ces terres lointaines aux économies déjà vacillantes; déjà ruinées en fait. En métropole, ni les terres, ni les bras ne manquent. De plus, les consommateurs, le marché sont là. Et, l'économie du transport transatlantique rend le produit encore plus compétitif.

La plupart des planteurs n'a rien vu venir ! Longtemps surprotégés par des allègements fiscaux, longtemps endormis par les confortables bénéfices obtenus d'un sucre vendu à un cour élevé, ils se trouvent soudain obligés de produire à moindre coût, pour contrer la concurrence de la betterave. Mais comment faire quand les plantations emploient en 1848 les mêmes méthodes de culture archaïques, dévoreuse en bras, des débuts de la colonisation? Oui, comment baisser les prix, à l'heure où la main d'œuvre n'est plus servile?

Le XIXème siècle est bien entamé, la révolution industrielle est déjà sur les rails. Mais en retard d'un train, les planteurs de Martinique, plutôt que d'investir dans des machines nouvelles pour remplacer une force de travail défaillante, vont persévérer dans la même logique : des bras, encore des bras. Mais surtout, des bras moins coûteux que ceux des anciens esclaves.

Après un intense travail de lobbying auprès de la République, ils obtiennent enfin ce qu'ils veulent. La mise en place de nouvelles filières d'immigration, libres cette fois, pour faire venir des Engagés (contrat de 5 ans) des côtes d'Afrique et des Indes.